Depuis plus de 750 ans, chaque lundi de Pentecôte, les habitants de Soignies perpétuent la pratique de porter la châsse de saint Vincent en procession autour de la ville, laquelle est centrée avec force, matériellement et symboliquement, sur l’imposante collégiale romane élevée en l’honneur du patron de la cité. La première mention de la « grande procession » à Soignies est donnée, en 1262, par une charte de l’évêque de Cambrai, Nicolas de Fontaine. D’après ce texte, toujours conservé dans les archives de la collégiale Saint-Vincent, la procession a été initiée par les chanoines de la collégiale mais semble se greffer sur une coutume déjà établie. En effet, la décision de l’évêque concerne l’octroi d’indulgences pour les participants à la procession et non la fondation de celle-ci. Elle vise plutôt à « institutionnaliser » la pratique et à encourager le culte de Vincent, un noble du 7e siècle converti à la vie religieuse, auquel un long éloge est consacré dans le texte de l’évêque.
Le milieu du 13e siècle est manifestement un moment-clé pour le culte des reliques à la collégiale romane de Soignies, comme le suggèrent plusieurs initiatives importantes : la grande châsse de saint Vincent, qui précède l’actuelle, remonte à cette époque ; la tête du saint est transférée dans un reliquaire précieux, le Chef, offert par la comtesse de Hainaut, Marguerite de Constantinople ; un imposant « monument aux reliques » est édifié au fond du chœur en lieu et place d’une crypte semi-enterrée qui s’allongeait antérieurement contre le mur de chevet, au profit d’une élévation de la châsse en pleine lumière. Par ailleurs, cette procession circulaire, d’une douzaine de kilomètres au-delà de l’intra muros, peut être vue comme l’expression d’un besoin, pour une population en plein développement et forte d’une charte de franchise, de s’affirmer en tant que communauté et de marquer son territoire propre.
Ainsi, au-delà de la motivation religieuse exprimée dans le texte médiéval, il ressort que l’instauration d’une grande procession vers 1262 répond à plusieurs préoccupations : développer le culte des reliques de saint Vincent, augmenter les revenus qui peuvent en découler en attirant les populations voisines et renforcer la cohésion sociale d’une « jeune » communauté urbaine autour de l’institution canoniale. 758 ans plus tard, les dimensions religieuse et sociale sont toujours très présentes et associées, tandis que l’aspect économique est très subsidiaire et indirect.
Hormis quelques mentions éparses dans des archives comptables qui confirment la continuité du Grand Tour au fil des siècles, les premiers témoignages explicites depuis les origines remontent au 17e siècle tandis qu’une description plus précise en est donnée au 19e siècle. Il faut constater que si certains usages ont évolué ou ont disparu au fil du temps, il s’agit souvent d’aspects périphériques.
Le « noyau dur » de l’événement s’est quant à lui pérennisé et fait la spécificité de l’événement : une procession qui mobilise surtout la population locale, à laquelle le clergé confie le corps saint ; un parcours en lien avec le périmètre de la franchise de la ville, jalonné de chapelles pour des haltes-prières ; une forme collective, marchante et chantante, de culte, bien dans la tradition médiévale ; un attachement marqué au saint protecteur de la cité, porté sur les épaules de confrères et escorté par toute une communauté rassemblée dans une grande proximité physique avec le corps saint mais aussi une grande simplicité ; une halte maîtresse et prolongée à la chapelle du Marais Tillériaux, occasion de réécouter un panégyrique du saint ; un retour solennel – traditionnellement marqué par plus de décorum (« Procession historique » aujourd’hui) – des reliques à la collégiale, à l’issue du Grand Tour, en vue de leur « remontée », au sein de la « Chapelle au Tombeau » dans le chœur.